MONTPELLIER – UN QUART DE SIÈCLE DE DANSE

Lorsque le festival Montpellier Danse voit le jour en juillet 1981, il découle d’une double volonté. D’une part celle de Georges Frêche, nouveau maire d’une ville qu’il secoue vigoureusement pour en faire une métropole qui rayonne au présent. D’autre part celle de Dominique Bagouet, à peine installé dans cette ville, pour y créer un Centre chorégraphique conforme à la non moins vigoureuse décentralisation de la vie chorégraphique impulsée par les pouvoirs publics.
Tout le développement de Montpellier Danse se conçoit dans ce double principe d’origine : cette manifestation est chevillée au mouvement bouillonnant de la Nouvelle danse (et ses prolongements), tandis qu’elle entretient une fidélité clairement assumée à un projet politique. Ceci non sans acuité, lorsqu’à la fin des années 90 il lui faut résister aux assauts hostiles d’une présidence régionale du Languedoc-Roussillon pactisant avec l’extrême-droite ; et non sans implication directe lorsque le maire de Montpellier appelle pour quelques années dans son cabinet le directeur du festival, Jean-Paul Montanari.
Celui-ci avait rejoint Montpellier au côté de Dominique Bagouet, qui lui confia très vite la direction du nouveau festival. Jean-Paul Montanari a dès lors forgé un modèle de manifestation de niveau pleinement international, dont l’acuité artistique attire certaines années jusqu’à plus de mille artistes, journalistes et professionnels, en même temps que très profondément inscrite dans le développement culturel au cœur des populations environnantes. Ces dernières continuent de représenter les quatre cinquièmes de la fréquentation publique.
Un développement enraciné
Depuis 1996, Montpellier Danse orchestre aussi bien la saison d’hiver que le festival d’été, avec une grande cohérence de programmation, pour un total de 50 000 entrées payantes (dont moitié ou plus pour le festival). Ce chiffre est à mettre en rapport avec la taille de la ville (230 000 habitants) et de son agglomération (400 000). Depuis 2007, Montpellier Danse dispose d’un théâtre qui lui est intégralement dévolu : le Chai du Terral à Saint-Jean-de-Védas. Cette permanence complète celle du siège de son équipe, dans l’Agora, cité internationale de la danse, partagée avec le Centre chorégraphique national dirigé par Mathilde Monnier, au couvent des Ursulines, en plein cœur de la vieille ville.
Le festival et la saison se déploient en outre dans une douzaine d’autres salles. La cour Jacques Cœur symbolisa longtemps la ferveur festivalière estivale et méridionale. Elle a dû ensuite laisser place à l’extension du Musée Fabre, tandis que la technicité et le ratio économique parfaits de la salle Berlioz du Corum imposait celle-ci comme le haut-lieu pratique et symbolique de la grande maturité de la manifestation. Tout autant, les représentations dans les communes de l’agglomération et sur les places de Montpellier sont courantes. Maurice Béjart donne ses pas de deux gratuitement devant six mille personnes (1994), et Merce Cunningham des events devant deux mille (1995). Les essais des jeunes compagnies se disputent aussi ces plateaux. Au tournant des années 90, tandis que déjà les banlieues s’embrasent, Montpellier Danse investit jusqu’à un tiers de son budget artistique dans l’enracinement d’un hip hop de création auprès de jeunes des cités. Un grand nombre de compagnies de danse contemporaine travaillent à l’année à Montpellier. Le Festival et la saison Montpellier Danse font partie de leur contexte favorisant, en co-produisant ou programmant chaque année plusieurs d’entre elles.
Le rendez-vous de la nouvelle danse
Programmées conjointement par Dominique Bagouet et Jean-Paul Montanari, les éditions de Montpellier Danse dans les années 80 répondent d’abord à la nécessité d’éveiller un large public aux formes multiples d’un art jusque là très peu diffusé. On « travaille pour que la danse ne soit plus une succursale de la musique, ou un département de la danse ». On voit alors à Montpellier aussi bien de la danse classique – dont Dominique Bagouet provient et qu’il apprécie toujours à maints égards – que néo-classique, mais aussi traditionnelle et de tous pays. Dès 1982, Trisha Brown inaugure une quête de références en direction des grands maîtres de la modernité américaine. Merce Cunningham la relaie en 1985. On ne compte plus leurs venues successives par la suite, et leurs triomphes, mais aussi les propositions rares réservées à Montpellier. Parmi celles-ci la représentation d’Ocean, en 1998 devant 4000 personnes dans un Zénith intégralement rebâti de l’intérieur. En 1995, ces deux New-Yorkais, rejonts par Bill T Jones, s’étonnent : « Nous habitons à quelques rues les uns des autres toute l’année, mais seul Montpellier nous donne l’occasion de nous rencontrer vraiment et réfléchir ensemble ».
Les années 80 sont celles d’une progression fulgurante de Montpellier Danse : 16 compagnies de 10 pays programmées en 1985, avec 200 artistes présentant 20 spectacles, dont 8 créations, en 60 représentations. 400 stagiaires sont également attirés, à une époque où la danse contemporaine souffre de la faiblesse de ses filières de formation. Or, c’est tout le mouvement de la danse contemporaine de l’Hexagone qui se donne rendez-vous à Montpellier. Les grandes créations des Diverrès et Montet, Chopinot, Larrieu, Decouflé, Bouvier-Obadia, Marin, etc, s’y produisent, en plus de, quasi systématiquement, celles de Dominique Bagouet, et plus tard Mathilde Monnier. En 1988, Régine Chopinot, Jean-Claude Gallotta, Maguy Marin et Dominique Bagouet y élaborent une déclaration commune, fort remarquée, sur l’état de leur art. Les compagnies et chorégraphes de plus grande notoriété internationale s’y produisent régulièrement (Batsheva, Nederland Dans Theater, Anne Teresa de Keersmaeker, William Forsythe, Sankaï Juku, Sasha Waltz, Jan Fabre, Saburo Teshigawara, etc).
Un festival de recherche
Montpellier Danse a accompagné les quêtes, impulsé les tournants, questionné les tendances esthétiques du mouvement chorégraphique : dans les années 80, en contre-point de l’option contemporaine, on y voit François Raffinot et Francine Lancelot propager une nouvelle esthétique baroque (et inviter Noureev à danser du Bach…). On y met en exergue la notion de "nouvelle interprétation" (1991). Cette même année propose une vision du hip-hop infiltrée dans les quartiers populaires montpelliérains, croisée avec les apports new-yorkais les plus actuels. Ce même courant sera à nouveau valorisé en 2004, parvenu à sa pleine maturité esthétique. En 1996 est réveillée la mémoire vivante de la post-modern dance (Steve Paxton, Yvonne Rainer, 1996). A la fin des années 90, via un partenariat soutenu avec l’AFAA, une grande attention est portée aux nouveaux chorégraphes d’Afrique noire et d’autres pays émergents. La programmation 2006 tourne son projecteur vers les modernités de la rive sud de la Méditerranée.
Au tournant des années 2000, le décompte annuel baptisant chaque édition est remis à zéro (Montpellier Danse 01, Montpellier Danse 02, etc). Ces années développent un intérêt soutenu pour le renouvellement esthétique axé sur les nouvelles lectures du corps et la déconstruction de la représentation spectaculaire, conseillé par Laurent Goumarre. Les Jérôme Bel, Boris Charmatz, Emmanuelle Huyn, etc, bénéficient de parcours systématiques dans leurs jeunes œuvres. Raimund Hoghe attache intimement son nom à celui du festival. Ces années voient la SACD implanter à Montpellier sa programmation du Vif du sujet. Par ailleurs, pour le meilleur ou pour le pire, Montpellier Danse sera le premier festival annulé à l’été 2003, lors de l’été de lutte des intermittents du spectacle.
Un festival dans le débat
En 1989, Jean-Paul Montanari ouvrait le festival vêtu d’un tee-shirt d’Act-Up et de bretelles portant un texte en cyrillique (on est alors en pleine perestroïka). « J’ai envie de bousculer le petit monde de la danse en son ghetto, j’ai envie d’y mettre le monde. Le monde qui me fait mal, le monde qui me ravit, le monde qui me bouleverse » indique-t-il. Il donnera un ton très personnel aux éditions de la décennie qui suivront (Dominique Bagouet décède en 1992, emporté par le sida). Ces années-là sont celles d’un festival que des journalistes désignent comme « un Avignon de la danse ». Les grands thèmes du temps y sont débattus, on y montre du cinéma et des expositions en grand nombre, on y invite des écrivains, des philosophes, des dramaturges. Des thèmes comme Les continents noirs (1991), et l’année suivante le cinq centième anniversaire de l’expulsion des juifs et musulmans d’Espagne (thème retenu de préférence à la découverte de l’Amérique), ou encore Le proche du lointain (1997), cultivent un point de vue sur l’identité composite, et l’incorporation de l’intime et de l’historique, largement précurseur des grands débats intellectuels et esthétiques de l’ère de la mondialisation.
C’est donc en région que la danse – toutes deux comptant sur leurs propres forces de désir – a inventé le rendez-vous majeur où elle affirme sans complexe l’ambition d’un discours sur le monde, l’engagement d’une recherche renouvelée, tout en vivant sans limites la rencontre d’un vaste public. Au cœur de Montpellier, l’Agora, Cité internationale de la danse, va prochainement être équipée de deux studios supplémentaires et d’une douzaine d’hébergements d’artistes. Complétant l’équipement du Chai du Terral selon les impératifs de la danse, ces nouveaux espaces ouvrent au festival une perspective d’accueils internationaux d’artistes en résidence de création. La réhabilitation de la Cour des Ursulines en théâtre d’été est également prévue, où battra longtemps encore le cœur étoilé d’un festival de rencontres.
Gérard MAYEN, journaliste et critique de danse
(texte du site du festival http://www.montpellierdanse.com )

Published by Antonio Laginha

Autoria e redação

António Laginha, editor e autor da maioria dos textos da RD, escreve como aprendeu antes do pretenso Acordo Ortográfico de 1990, o qual não foi ratificado por todos os países de língua portuguesa.

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