Sans même savoir s’il est ou non renouvelé à la tête de l’Opéra de Paris, Nicolas Joel entend nommer le nouveau directeur de la danse. «C’est une prérogative du directeur de l’Opéra, dit-il, et j’entends l’exercer. Je donnerai le nom en mars, au moment du lancement de saison.» Peut-être même plus tôt : Brigitte Lefèvre a déjà bouclé la programmation pour la saison 2014-2015 et elle tient à éviter à la compagnie de 150 danseurs les flottements et les incertitudes d’une campagne de succession.
En ce qui concerne la danse, Nicolas Joel s’en remet à Brigitte Lefèvre, qui a organisé un changement dans la continuité. Le dauphin est dans les murs, et déjà maître de ballet associé à la direction de la danse depuis deux ans: c’est Laurent Hilaire, 50 ans. Soleil noir, façonné par Noureïev, choisi par les chorégraphes, longtemps partenaire de Sylvie Guillem avec qui il a dansé à la Scala, au Royal Ballet, à l’ABT. C’est par ailleurs un excellent maître de ballet.
Au sein même de la compagnie, il a un rival de taille: Nicolas Le Riche, danseur solaire, puissant, irrésistible de charisme et de sensualité, qui a succédé à Laurent Hilaire comme partenaire de Sylvie Guillem. Il devrait prendre sa retraite d’étoile fin 2013-2014, à 42 ans et demi, au moment même où Brigitte Lefèvre s’en ira, et ne possède donc encore aucune expérience comme directeur de compagnie. L’influent Philippe Villin, banquier d’affaires et vice-président de l’Association pour le rayonnement de d’Opéra de Paris (Arop), mène activement sa campagne. Les projets artistiques d’Hilaire et de Le Riche ne sont pas dévoilés.
Est-il souhaitable, cependant, que la compagnie, qui passe pour la meilleure du monde, soit dirigée par un danseur rompu aux mœurs du sérail mais dépourvu de toute expérience extérieure? Après les vingt années Lefèvre, ne faut-il pas élargir le casting? D’autant plus que, dans les temps de récession qui s’ouvrent, le Ballet doit absolument être dirigé par une forte tête. S’il est certain qu’il remplira les salles et les caisses avec les sempiternels Lac des cygnes et Casse-Noisette, il lui faut des défis plus novateurs pour garder élan et éclat. Déjà, de cinq ou six créations, on est cette saison passé à deux. L’enjeu mérite qu’on cherche ce nouveau Noureïev qui tiendra tête, façonnera une génération de jeunes étoiles, inventera des projets originaux et boostera durablement la compagnie. Existe-t-il seulement?
Les grands danseurs comme Sylvie Guillem, Manuel Legris, en train de ressusciter superbement le Ballet de Vienne, en Autriche, ou Éric Vu An, directeur de Nice, doivent être sollicités, de même que les chorégraphes rompus à la danse classique comme Benjamin Millepied ou Jean-Christophe Maillot. A l’étranger, on peut aussi penser à Forsythe, familier de la compagnie depuis 1987 ou Ratmansky, jeune ex-directeur du Bolchoï. Il n’est pas obligatoire d’être français pour bien diriger le ballet. Aujourd’hui, Noureïev reste le modèle. Il est vrai qu’il lisait Saint-Simon pour essayer de comprendre le fonctionnement de l’Opéra.