"Les précieux ridicules de la danse"
L’hostilité de certains chorégraphes à la nouvelle mission du Théâtre de Chaillot est stupéfiante.
Que craignent-ils ? Le grand public ? C’est dommage
La nouvelle mission du Théâtre de Chaillot, qui, en juin 2008, sera dédié à la danse et confié à José Montalvo et Dominique Hervieu, créateurs appréciés du grand public, a suscité une hostilité surprenante d’une poignée de leurs confrères (Le Monde du 29 novembre). Au lieu de se réjouir de voir leur art gagner un nouveau et prestigieux lieu d’expression, les chorégraphes signataires récriminent : ils craignent a priori que la danse dite " d’aventure " et " d’audace " n’y trouve pas sa place et que s’impose un " oecuménisme qui tente d’abord de divertir le plus grand nombre ".
Le plus grand nombre ! Voilà ce qui les effraie. Quelle est alors cette " danse d’audace ", réservée aux initiés, qui serait menacée ? Depuis de nombreuses années, un courant impose son hégémonie dans la création contemporaine, qui cultive en effet l’élitisme. Il refuse l’esthétique, raille l’émotion, rejette le mouvement, revendiquant une " non-danse " qui se proclame d’avant-garde mais se traduit souvent par un conformisme affligeant ou, chez certains, par une surenchère de provocations vulgaires : on se roule par terre en sous-vêtements, on projette des liquides divers – eau, sang, urine, sperme, tout est bon. Comme les précieuses ridicules, les non-chorégraphes accompagnent leurs " créations " d’un propos ésotérique et pédant et taxent d’emblée de réactionnaire toute critique qui leur est adressée.
POUDRE AUX YEUX
Du coup, nombre de spectateurs ne s’autorisent même plus à juger, de peur de ne pas être branchés. Rares sont ceux qui, comme l’enfant du conte, osent crier que l’empereur est nu, et le chorégraphe… nul.
Ce courant, spécialité française que l’on regarde à l’étranger avec consternation, serait insignifiant si, depuis des années, il ne canalisait pas l’argent public, s’arrogeant les subventions et monopolisant le réseau des centres chorégraphiques régionaux, nuisant ainsi aux autres formes de création contemporaine.
Aujourd’hui ses défenseurs craignent que cette hégémonie se fissure et que se révèle une vérité qui les dérange : le public, le grand comme le petit, en a assez de la poudre aux yeux. Oui, il veut de l’aventure et de l’audace, c’est-à-dire de vrais spectacles dansés, travaillés, créatifs, inventifs, au-delà des modes et des prêts-à-penser. Il veut une danse avec un propos et un sens, fondée sur le talent, l’exigence et l’intelligence.
La vraie audace serait que les journalistes jouent à nouveau leur rôle critique, que la politique culturelle retrouve un peu de cohérence, que les élus dispensent l’argent public avec plus de discernement et que les centres chorégraphiques régionaux renouent avec leur mission : donner aux artistes de tous horizons la possibilité de créer et s’exprimer.
A Chaillot de relever le défi et de prouver qu’aujourd’hui, en France, loin de la vacuité de la " non-danse ", on peut dire haut et fort : oui à la danse.
Dominique SIMMONET
Ecrivain, chroniqueur de danse du journal Le Monde
"Pas de guerre entre la danse et le thèâtre"
Le ministère de la culture vient d’annoncer la nomination de deux
chorégraphes à la direction du théâtre national de Chaillot et par ce
geste il offre à la danse son premier théâtre national.
Doit-on se réjouir ?Que nous dit cette nouvelle, au delà d’un effet
d’annonce à priori positif pour le secteur chorégraphique ?
Que dessine en creux , par les demandes formulées à ces nouveaux
directeur ,la vision de la danse que le ministère de la culture
souhaite promouvoir ?
Que nous dit cet événement au regard des vives réactions qui émanent
d’une partie du secteur théâtral et de la façon dont il considère le
champ chorégraphique ?
La danse s’est imposée ces vingt dernières années car elle a su mettre
en question son histoire, interroger son cadre, renouveler ses
langages ,travailler au bord de son champ pour en éprouver les
contours et ainsi les rendre poreux aux autres champs que sont la
musique, le théâtre et les arts visuels. Mais cette danse d’aventure
qui a su donner une voix et une reconnaissance à cet art pourra-t-elle
être présente à Chaillot ?quelle sera la place faites aux artistes et
aux compagnies qui depuis toujours sont le cœur battant de l’invention
et de l’audace chorégraphiques.
Bien que nous soyons convaincus, au regard de l’histoire passée et
récente de la danse contemporaine, qu’un nouveau lieu à Paris soit
devenu indispensable pour présenter les œuvres des artistes
contemporains et leur répertoire, était-ce Chaillot qui réunissait le
mieux les conditions pour répondre à ce manque ? Pour obtenir un lieu,
la danse doit-elle prendre celui des autres, et s’asseoir sur une
histoire qui n’est pas la sienne ? Si les hommes de théâtre s’emparent
de cette situation pour souligner le désengagement de l’Etat à son
égard, nous le comprenons. Il n’est pas juste de fragiliser une
discipline au profit d’une autre, même si les écarts économiques que
nous connaissons entre ces deux champs demeurent très importants.
Alors pourquoi la danse n’a t-elle pas obtenu un lieu de diffusion
pensé pour elle, un projet à l’architecture adaptée à son histoire,
à son économie, aux formes nouvelles de relations et de
représentations qu’elle ne cesse d’inventer et d’interroger ? Un lieu
d’accueil pour ce qui se développe comme forme chorégraphique partout
en Europe et au delà, un lieu où elle serait libre d’inviter les
artistes de théâtre qui la considère comme parole et comme acte.
Ceux qui ont pris cette décision, sans une véritable concertation des
secteurs chorégraphique et théâtral ,comprennent-ils les enjeux de la
danse pour notre société ? Ne la regardent-ils uniquement qu’à travers
un œcuménisme , qui tente d’abord de divertir le plus grand nombre ?
Les nouveaux directeurs ont devant eux un défi important , celui de
rassembler dans ce lieu un paysage chorégraphique d’une immense
diversité , complexe et contradictoire dans ses enjeux artistiques.
Comment et par quel moyen adapteront-il les outils de cette imposante
structure ?
En attendant ne cédons pas à une guerre d’un autre âge entre danse et
théâtre, profitons plutôt de ce moment pour demander ensemble que
notre culture et nos pratiques artistiques soient regardées pour ce
qu’elle sont, vivantes, indispensables et audacieuses. La société nous
le demande.
Les signataires sont Mathilde Monnier, Odile Duboc, Emmanuelle Huynh, Laure Bonicel, Boris
Charmatz, Alain Buffard, Loic Touzé, Alain Michard et Daniel Larrieu, pour
les chorégraphes et Jean Lambert-Wild, Jean-François Sivadier, Stanislas Nordey, Arnaud
Meunier et Pascal Rambert, pour les metteurs en scène.
"Chaillot va devenir un Théâtre national de la Danse"
Il sera dirigé pour la première fois par des chorégraphes.
Cette annonce, cette bonne nouvelle, n’est pas sans poser de nombreuses questions,
susciter émotions, réactions, espoirs, inquiétudes et parfois procès d’intention ou amalgame.
Cette décision qu’il faut saluer, intervient néanmoins dans un contexte politique, social et économique particulièrement délicat où l’on peut craindre, quels que soit les effets d’optique des présentations budgétaires,
une réelle réduction des moyens et des ambitions attribuées par l’état au secteur culturel et artistique.
Faire évoluer les missions du Théâtre national de Chaillot entraînera nécessairement des changements, des ajustements. La conséquence à terme de cette nomination hautement symbolique sera le remplacement du Directeur actuel. Ariel Goldenberg mérite estime et reconnaissance du travail qu’il a accompli avec succès dans cette maison. Il est impératif que les modalités de son départ s’effectuent dans le respect et la dignité qui lui sont dus.
Il est tout aussi nécessaire que crédit et soutien soient accordés aux futurs dirigeants qui doivent désormais, dans les mois à venir préciser et mettre en œuvre une nouvelle politique artistique qui réponde aux vrais enjeux et aux nouveaux contours de la création actuelle.
C’est pourquoi il faut refuser la vieille et stérile polémique qui tend à opposer « le Théâtre du verbe » (qui serait le seul légitime à porter la mémoire du lien et de l’utopie lancée par Vilar et ses successeurs) à la danse. En 1980 déjà, lorsqu’à Lyon le Théâtre du 8ème arrondissement fut confié à la Maison de la Danse, certains déclarèrent « qu’on privait ce Théâtre de la parole pour le donner à la danse qui n’a rien à dire !» Et pourtant qui peut contester l’apport profond et essentiel pour la scène toute entière des démarches et de la recherche de nombreux artistes issus de la danse.
Désormais de nombreux chorégraphes, metteurs en scène, circassiens, gens de la scène et des arts visuels, inventent des formes, des langages qui échappent aux catégories historiques, esthétiques et administratives devenues bien souvent obsolètes.
La danse a largement contribué, et son histoire en témoigne, à déplacer voire annuler les frontières catégorielles d’antan, par le croisement des langages et la collaboration avec des artistes venus d’horizon les plus divers.
Que Chaillot devienne un Théâtre national de la Danse confirme la reconnaissance d’un art ouvert, généreux, en dialogue constant avec les autres disciplines et en capacité désormais d’être puissance incitante.
Trois plateaux, de configurations diverses permettrons de présenter, de produire des spectacles et des démarches de toute nature, par l’invitation des plus grandes compagnies françaises et étrangères mais aussi par la présence d’artistes et de compagnies émergentes.
Formidable outil de création et de production servis par l’ensemble des corps de métiers et des personnels. Chaillot aura aussi la possibilité de mettre en œuvre des séries de représentations, seules amène de renouveler et développer les publics à l’image de ce que réalisent notamment les Centres Dramatiques Nationaux, tous dotés de salle de spectacle exclusivement (ou presque) consacrés au Théâtre de texte, alors même que les Centres Chorégraphiques Nationaux, ne disposent que de salle de répétitions (à l’exception récente d’Aix en Provence et de Rilleux la Pape) et alors même que jusqu’à ce jour aucune salle parisienne n’est statutairement consacrée à la danse.
Les enjeux sont considérables et nécessitent le soutien éclairé et vigilant de toutes celles et ceux qui souhaitent et considèrent hautement légitime que la danse et ses acteurs disposent enfin d’un outil à la hauteur de ses défis et de ses ambitions".
Didier DESCHAMPS
"Basses Oeuvres"
A Paris, toujours, il faut redire à quel point le théâtre "alternatif" ou semi-institutionnel se trouve de façon endémique en situation financière de quasi-rupture (combien de temps va encore pouvoir tenir l’indispensable Théâtre de la Bastille, pour ne citer que celui-ci, au milieu de tant d’autres, de plus en plus vulnérables économiquement ?).
Etait-ce la meilleure décision pour la danse ? Il est permis de s’interroger grandement.
Etait-ce une très mauvaise décision pour le théâtre ? C’est une évidence. Les conséquences négatives de tous ordres en seront immédiates à Paris, mais aussi pour l’ensemble du tissu théâtral français (les plus démunis, les plus isolés le seront davantage), de même que pour nombre de spectacles étrangers.
Parler de Paris, c’est parler aussi de sa banlieue : l’on y oeuvre (souvent excellemment !) dans un contexte difficile, d’autant plus difficile que l’Etat y réduit drastiquement sa présence au fil des ans.
Ainsi ce qui n’est plus n’est plus, et ne saurait être porté par d’autres lieux : nombre d’utopies ne verront pas le jour, et leurs artisans se trouveront réduits au silence.
Si tout cela s’avère prémédité, que voici de fort basses oeuvres ! Si c’est le fruit d’une absence de réflexion (d’une incompétence ?), c’est tout autant inadmissible.
De René Char : "A chaque effondrement des preuves, le poète répond par une salve d’avenir." Pour ce faire, il lui reste désormais le terre-plein de Chaillot et la rue…
René GONZALEZ (directeur du Théâtre Vidy-Lausanne)
"Chaillot dévolu à la danse: les centres chorégraphiques nationaux satisfaits"
L’Association des centres chorégraphiques nationaux (ACCN) a "salué" la nomination de José Montalvo et Dominique Hervieu au Théâtre national de Chaillot, estimant qu’elle répond "à la nécessité d’obtenir un lieu de diffusion et de production dédié à la danse à Paris".
Dans un communiqué transmis lundi à l’AFP, l’ACCN "attire néanmoins l’attention du ministère de la Culture sur le fait que cette nomination ne doit pas occulter la réalité" de leur secteur.
Selon l’association, le milieu de la danse est "de plus en plus fragilisé par le manque de soutien à la création et à la diffusion des oeuvres chorégraphiques au plan régional, national et international".
Pour Chaillot, "l’ACCN appelle de ses voeux l’élaboration et la mise en oeuvre d’un projet artistique qui tienne compte de la diversité esthétique garante de la vitalité du champ chorégraphique d’aujourd’hui au plan national et international: un champ sans clôtures, ouvert aux croisements et à l’entrelacs des disciplines et qui repousse sans cesse les horizons".
Les chorégraphes José Montalvo et Dominique Hervieu, directeurs actuels du CCN de Créteil, ont été nommés à compter de juillet 2008 à la tête de Chaillot, deuxième théâtre national avec un budget de plus de 16 millions d’euros. Ils ont pour mission d’en faire notamment la vitrine des pièces créées par les CCN.
L’ACCN regroupe 18 des 19 CCN, compagnies chorégraphiques nées à partir des années 1980 dans le cadre de la décentralisation culturelle en Ile-de-France et en province, et qui assurent plus de 1.000 représentations pour près de 500.000 entrées chaque année.
Agence France-Presse, PARIS, 12 nov 2007
"Ça va valser à Chaillot"
Albanel annonce une redistribution des cartes de la danse à Paris.
En 1999, Catherine Trautmann, alors ministre de la Culture, déclarait : «Chaillot est un projet nouveau où, pour la première fois dans l’histoire artistique et culturelle de la France à cette échelle, le théâtre et la danse sont, dans un même lieu, traités à égalité.» Elle avait raté le coche. A l’époque, donner un lieu à la danse aurait été bienvenu et courageux politiquement. D’autant que Forsythe qui, certes coûtait peut-être trop cher pour l’argent public, aurait pu l’occuper. La poire avait donc été coupée en deux : un peu de théâtre et un peu de danse. Soit Ariel Goldenberg (son contrat s’achève en juin 2008) et le duo Montalvo/Hervieu. Au mépris d’un rapport commandité par le ministère qui concluait : «Loin de se placer en rupture avec l’histoire de son passé, un théâtre national de la danse à Chaillot s’inscrirait pleinement dans la lignée de ses vocations au service de la création et de ses missions de théâtre populaire.»
Christine Albanel, ministre de la Culture, doit annoncer ce matin que Chaillot bascule entièrement vers la danse et que José Montalvo et Dominique Hervieu, aux commandes du Centre chorégraphique national de Créteil et directeurs de la danse à Chaillot, en deviennent les directeurs. On imagine le tollé dans le milieu théâtral. Que la danse manque de lieux, ce n’est pas nouveau, surtout à Paris. Le Châtelet mise sur la comédie musicale, le Théâtre de la Ville est officiellement dirigé par un metteur en scène. Il ne reste plus que le Ballet de l’Opéra de Paris, le Regard du Cygne à Belleville avec sa petite salle ou la Ménagerie de Verre (XIe) et son festival, les Inaccoutumés.
La ministre devrait aussi donner les noms des nouveaux dirigeants du Centre national de la danse de Pantin. Il pourrait s’agir de Jean-Marc Granet-Bouffartigues (Culture France) et de l’énarque Monique Barbaroux (ex-directeur général, entre autres, de la Comédie-Française et de la Villette…). Un regroupement CND et Chaillot a été évoqué puisque le CND n’a toujours pas de salle de spectacle. Mais il semblerait exclu pour l’heure.
La meilleure nouvelle que l’on pourrait apprendre ce matin, c’est que le lieu du chorégraphe hip-hop Mourad Merzouki, le Karavel à Bron (Rhône) a obtenu le label de Centre chorégraphique national.
Marie-Christine VERNAY
Libération – 25 Octobre 2007