Chorégraphes américains à l’Opéra de Paris – DE BALANCHINE À FORSYTHE
16 juin au 25 septembre 2016, au Palais Garnier
Véritable phénomène dans l’histoire de l’art chorégraphique, la danse américaine est perçue comme « un art du changement ». Elle se forme d’une manière extrêmement rapide au début du xxe siècle et affirme sa force créative dès le milieu du siècle, tout en se faisant immédiatement connaître à travers le monde. Caractérisée par une grande diversité, la danse américaine ne peut se limiter à une définition stylistique ou géographique.
Terre d’accueil et de métissage, les États-Unis ont drainé de nombreux artistes étrangers, au premier rang desquels George Balanchine, russe et non moins fondateur du ballet classique moderne américain. Si les chorégraphes américains montrent des parcours complexes, façonnés par leurs propres choix artistiques mais aussi par les bouleversements historiques du xxe siècle, ils incarnent cependant, vu d’Europe, un idéal de modernité et de libération du corps, exprimé à travers des éléments caractéristiques du Nouveau Monde – entre autres la modern dance, le jazz ou encore la comédie musicale.
L’Opéra de Paris, au gré de son évolution structurelle et artistique, ne pouvait ignorer ces chorégraphes et les a régulièrement invités depuis 1947, date de la création du Palais de cristal par George Balanchine. Au long d’un parcours chronologique et thématique, l’exposition proposée par l’Opéra national de Paris et la Bibliothèque nationale de France dresse un panorama de près de soixante-dix ans d’échanges et de créations. Mettant en avant les figures emblématiques de la danse américaine qui ont marqué le Ballet de l’Opéra, l’exposition tente de définir leurs apports stylistiques et esthétiques grâce à des pièces issues principalement des collections des deux institutions.
I. LES PREMIERS ÉCHANGES (1947 – 1972) Le ballet (néo)classique américain
Les liens entre l’Opéra de Paris et les chorégraphes américains se tissent dès 1947, avec l’arrivée de George Balanchine. Un temps pressenti pour devenir maître de ballet à l’Opéra de Paris, il ne peut répondre à l’invitation et s’installe aux États-Unis où il fonde avec Lincoln Kirstein la School of American Ballet en 1934, futur New York City Ballet. Héritier des Ballets russes et ouvert aux influences de son nouvel environnement (du jazz à la comédie musicale), il développe une danse classique moderne qui s’affranchit de la narration pour privilégier l’abstraction à travers une écriture plus athlétique, dynamique et aux lignes fluides. Ce parcours fait de lui le candidat idéal pour être le trait d’union entre une chorégraphie américaine naissante et la grande tradition de l’école française. En 1947, Balanchine, qui a entretemps acquis la nationalité américaine, répond à l’invitation de l’Opéra de Paris : il monte trois de ses ballets et lui offre Le Palais de cristal. Durant cette période, le Ballet de l’Opéra connaît une crise à la fois de fonctionnement et d’identité avec un répertoire qui s’articule essentiellement autour des œuvres de Serge Lifar. Les années 1960 voient une amorce de changement. George Skibine et Michel Descombey succèdent à Serge Lifar, Balanchine est à nouveau invité (Symphonie, Concerto Barocco, Symphonie écossaise, Les Quatre tempéraments, Bourrée fantasque). Il incarne jusque dans les années 1970 l’unique visage de cette danse américaine à l’Opéra. Seule exception : l’atypique Pas de dieux, monté par Gene Kelly pour Claude Bessy en 1960.
II. LA PÉRIODE DE L’EXPÉRIMENTATION (1973 – 1980) L’ouverture à la danse contemporaine américaine
Les années 1970 voient l’entrée de la danse contemporaine américaine à l’Opéra de Paris et le réveil d’un Ballet en stagnation. Rolf Liebermann, nouvel administrateur de l’institution, modifie le statut de maître de ballet qui assurait jusqu’alors une fonction de chorégraphe principal de l’Opéra, et le remplace par un directeur de la Danse : Raymond Franchetti (1973-1977), puis Violette Verdy (1977-1980). Liebermann va également engager une disciple américaine d’Alwin Nikolais, Carolyn Carlson, comme « étoile-chorégraphe », puis comme directrice du Groupe de recherches théâtrales de l’Opéra de Paris (G.R.T.O.P.). Véritable laboratoire autonome du Ballet, le G.R.T.O.P. crée, entre autres, Sablier – Prison (1974) et The Architects (1980). Merce Cunningham est invité à créer Un jour ou deux, sur une musique de John Cage et avec des décors et costumes de Jasper Johns. En 1974, le Ballet danse l’œuvre emblématique de Paul Taylor Auréole. Le ballet (néo)classique américain n’est pas en reste. Au cours d’un programme Stravinsky en 1974, George Balanchine présente un de ses chefs-d’œuvre, Agon, ballet sans argument, sans décor et avec des costumes réduits à de simples tuniques et collants noirs et blancs. Il est accompagné de l’autre grand nom du New York City Ballet, le chorégraphe de West Side Story, Jerome Robbins, qui entre à son tour au répertoire de l’Opéra avec Scherzo fantastique et Circus Polka
III. ÉCLECTISME ET PLURALITÉ (1980 – 1989) De la jeune danse américaine aux chorégraphes confirmés
En 1983, Rudolf Noureev est nommé directeur de la Danse. Au cours des six années que dure son mandat, il poursuit la stratégie mise en place dans les années 1970 par ses prédécesseurs Violette Verdy (1977-1980) puis Rosella Hightower (1980-1983) mais systématise l’alternance de ballets classiques et contemporains. Fort de sa notoriété internationale, il multiplie les invitations faites aux chorégraphes étrangers et en particulier à ceux issus de la danse moderne américaine. Cette ouverture vers un répertoire plus contemporain ne peut se faire sans la cohabitation avec le Groupe de recherche chorégraphique de l’Opéra de Paris (G.R.C.O.P.), animé par Jacques Garnier. Constitué dès 1980 d’une douzaine de danseurs du Ballet de l’Opéra, ce groupe succède au G.R.T.O.P. de Carolyn Carlson et propose une programmation orientée vers les recherches chorégraphiques contemporaines. À cette proposition artistique, Noureev souhaite associer le Ballet de l’Opéra, en imaginant des soirées mêlant sur la scène de la Salle Favart (Opéra-Comique) danseurs du G.R.C.O.P. et danseurs du Ballet de l’Opéra. Une stratégie qui permet tant aux danseurs de la compagnie qu’au public, de s’emparer progressivement de langages nouveaux. Ainsi programme-t-il d’importants noms encore méconnus à l’Opéra parmi lesquels Alvin Ailey, Karole Armitage, Lucinda Childs, Louis Falco, José Limón, Mark Morris, Twyla Tharp ou encore William Forsythe.
IV. UN RÉPERTOIRE VIVANT (DEPUIS 1990) Un équilibre entre reprises et créations
Le maintien d’un équilibre entre préservation du socle classique et ouverture à la création est le credo de la politique menée depuis les années 1990 par les directeurs de la Danse successifs : Patrick Dupond (19901995), Brigitte Lefèvre (1995-2014) et Benjamin Millepied. Avec la dissolution du G.R.C.O.P. en 1989, toutes les commandes se font désormais pour les danseurs du Ballet. L’ouverture de l’Opéra Bastille cette même année donne par ailleurs un nouvel écrin aux œuvres lyriques, permettant au Palais Garnier de proposer une programmation essentiellement chorégraphique. La variété et le nombre de ballets offerts au public augmentent avec la permanence des soirées mixtes et le nombre croissant d’invitations faites aux compagnies étrangères, notamment américaines. Entre 1990 et 2016, le répertoire néoclassique du Ballet de l’Opéra s’est ainsi consolidé en présentant, saison après saison, des reprises ou de nouvelles pièces de George Balanchine et de Jerome Robbins, parfois parées de nouveaux atours tels Joyaux ou Le Palais de cristal dont les décors et costumes ont été nouvellement confiés à Christian Lacroix. Il s’est également enrichi de créations et d’entrées au répertoire de chorégraphes américains reconnus sur la scène internationale mais jusqu’alors absents ou peu représentés à l’Opéra. Parmi eux Martha Graham, Agnes de Mille ou encore Trisha Brown et William Forsythe qui vont entretenir, au cours de la deuxième moitié de cette période, un intense et fructueux dialogue avec le Ballet de l’Opéra.